Moment de vie d'un curé de brousse
Moment de vie d’un Curé de brousse, au Congo
par l'Abbé Félix Ngongo, curé des paroisses de Lulingu et de Kigulube
Les paroisses de Lulingu et de Kigulube dont l’abbé Félix est le curé recouvrent une étendue comparable à celle d’une province belge. L’abbé Félix nous partage dans l’article ci-dessous la visite pastorale qu’il effectua en avril-mai 2017 dans des succursales de sa paroisse pour les festivités pascales.
« Le sacerdoce, c’est l’amour du cœur de Jésus »
C’est ainsi que Saint Jean-Marie Vianney, curé d’Ars définit le sacerdoce. Le fait d’être prêtre est pour lui avant tout la manifestation de l’amour de Dieu pour les hommes, amour qui a son origine dans le cœur de Jésus. C’est en aimant le Christ plus que tout que le prêtre peut devenir un bon pasteur : « Un bon pasteur, un pasteur selon le cœur de Dieu, c’est là le plus grand trésor que le bon Dieu puisse accorder à une paroisse, et un des plus précieux dons de la miséricorde divine. » Un saint prêtre est un prêtre selon le cœur de Dieu, c’est-à-dire doux et humble.
Ce cœur de Jésus se laisse voir à travers les différentes personnes que nous rencontrons. C’est ainsi que je me suis trouvé dans l’obligation, en tant que curé des deux paroisses de Lulingu et de Kigulube, d’aller à la rencontre du cœur de Jésus qui se trouve auprès des fidèles de la périphérie. A la veille de mon voyage et au cours de celui-ci trois sentiments m'ont habité. Je me propose de vous les partager :
1. LE SENTIMENT D’ANGOISSE.
Après avoir conçu l’idée d’aller visiter la paroisse de Kigulube pendant les festivités pascales, une délégation de 2 personnes est bel et bien arrivée de Kigulube à Lulingu. Cette dernière a été bien reçue à la cure de Lulingu. Il s’agissait de l’Animateur Pastoral Cosmas MASANGA Bovic et de Monsieur MATANDIKO KALENGA respectivement vice-président du conseil paroissial de Kigulube et chargé de la préparation aux sacrements.
J'accepte de faire ce pèlerinage avec mes guides pour la circonstance. En me demandant qu’est-ce qui pourrait m'arriver, je suis habité par un sentiment de peur. En effet, tout peut arriver sur la route. Cette angoisse me hante et trouble mon sommeil. Je suis à la veille de mon départ et mille et une questions me viennent à l’esprit. Pourquoi une telle peur en moi ? Les images se suivent, s’accumulent et se ressemblent presque.
Il y a tout d’abord l’insécurité. En cas de maladie, il n’y a pas de routes convenables pour dépêcher quelqu’un afin de me venir en aide, la rencontre probable de Raia Mutomboki, milices qui occupent la forêt, fait également partie des réalités de la route. C'est là aussi une évidence incontournable ! Marcher à pied sur une aussi longue et périlleuse distance, c’est nouveau pour moi mais c’est l’unique moyen de déplacement. Face à toutes ces questions je n'ai pas pu fermer l'œil tandis que les heures de la nuit avançaient progressivement. Malgré tout cela, le souci pastoral est au-dessus de tout. Je dois rencontrer mes paroissiens.
C’est ainsi que de grand matin j’ai décidé de m'engager. Je prends mon bâton. Je fais les premier pas, accompagné et pisté par mes deux guides. La route est longue. Il me faut en effet parcourir une distance de 165 km aller et 165 km retour (325 km au total) sans savoir où je me rendais géographiquement parlant. En pleine forêt, les pistes exigent une intelligence. Sans boussole on risque en effet de se retrouver dans un autre endroit.
La première journée était la plus risquée possible étant donné qu’il fallait parcourir une longue distance de 6 heures du matin à 16 heures. Je découvre l’importance de porter un bâton d’appui à la main. Les raisons de son utilité sont multiples mais les plus vraies sont trois :
- Servir de défense face à tout ce qui peut survenir dans l’incertitude de la forêt. Je pense directement aux serpents et autres animaux indésirables.
- Servir d’équilibre en cas fatigue et de trébuchement lors de mon déplacement.
- Servir d’appui lors de grandes montées sur les collines afin de ne pas s’essouffler trop rapidement
2. L’ESSOUFLEMENT
L'essoufflement vient avec la longueur de la distance à parcourir à pied. Pour ne pas me décourager, les chrétiens m’ont caché le vrai kilométrage d’un village à l’autre, d’une forêt à l’autre. Dans ce voyage à pied la vitesse est très lente, il faut une heure pour faire 5 km. En faisant 30 à 35 km par jour mes pieds commencent à gonfler et demandent l’abandon. On me transporte sur le dos ou on me tient à la main pour me faire traverser les rivières à pied. Quelques fois aussi certains chrétiens, non habitués à la vie des prêtres, ne savent pas préparer quelque chose à me mettre sous la dent. Il m’arrive ainsi de passer plusieurs villages sans trouver même des fruits comme des ananas, papayes, oranges, mandarines, cannes à sucre. C'est essoufflant !
Un autre aspect qui décourage, c’est l’incompréhension de certains chrétiens et même de certains responsables des communautés ecclésiales vivantes (CEV). Je m’explique :
En l’absence d’un prêtre présent en permanence, la tendance protestante gagne certaines âmes, d’autres veulent s’approprier le prêtre pour qu’il soit seulement à leur service au risque de créer des conflits avec les autres chrétiens qui n’ont pas eu la grâce de le loger dans leur communauté ecclésiale vivante (CEV). Cette incompréhension vient surtout du fait que les chrétiens catholiques côtoient des pasteurs protestants qui sont permanents tandis que nous les prêtres, au vu de l’immensité territoriale de la paroisse, nous ne sommes que de passage. Nos paroissiens sont ainsi influencés par la façon dont les initiatives et les décisions sont prises chez les protestants ce qui, pire encore, engendre de la résistance face à certaines décisions prises par le prêtre. Les responsables des communautés ont du mal à accueillir la hiérarchie de l’Eglise vu qu’ils sont habitués à commander depuis bien longtemps (20 ans, 25 ans, 30 ans pour les plus anciens…)
3. LE SENTIMENT DE JOIE.
Le sentiment de joie et de bonheur habite en moi surtout quand je regarde l’engagement des jeunes qui m’accompagnent de village en village pour assurer ma sécurité et surtout pour m’encourager à venir plusieurs fois en visite chez eux, malgré et au-delà de la souffrance que je rencontre en cours de route. Ils souhaitent en fait que je partage leurs souffrances et surtout que je me présente partout comme ambassadeur du Christ.
Ma joie est encore grande quand je vois les nombreux enfants qui font les pieds pour venir à la célébration eucharistique et pour recevoir les différents sacrements.
Dans la souffrance comme dans la joie, Jésus est avec nous comme il a toujours été avec les disciples d’Emmaüs (cfr. Luc 24). Cette route d’Emmaüs que mes chrétiens de Lulingu, Kigulube et Mulungu et moi empruntons sans le savoir devient ainsi le symbole de notre chemin de foi : les Écritures et l’Eucharistie au service desquelles j’effectue ces voyages sont les éléments indispensables à la rencontre avec le Seigneur.
Ces chrétiens arrivent souvent à la messe avec leurs préoccupations, leurs difficultés et leurs découragements, leurs demandes de sacrements, leurs déceptions. Ils sont blessés par les réalités de la vie. Ils sont traumatisés. Ils vont vers leur « Emmaüs », parlant entre eux de tout ce qui s’était passé, tournant le dos aux desseins de Dieu. Mais les messes que je célèbre pour eux, commençant par la liturgie de la Parole et culminant par l'Eucharistie, rallument dans leurs cœurs la chaleur de la foi et de l’espérance. Et dans la communion, Jésus-Christ nous donne à tous la force.
Faisant mienne cette parole de Saint Jean-Marie Vianney : « le sacerdoce c’est l’amour du cœur de Jésus » une conviction m'habite : Jésus se laisse voir à travers les différentes personnes que nous rencontrons et à qui nous demandons de l’écouter pour rendre notre foi plus forte.
Regardons Jésus, pour préparer nos yeux à la belle vision de son visage, où nous tous (puisse le Seigneur nous en donner la grâce), nous nous retrouverons pour une messe sans fin. Accueillons le Christ et son Evangile, laissons-nous éclairer par lui, tout cela ne peut que changer notre vie !
Abbé Félix Ngongo, curé des paroisses de Lulingu et de Kigulube.