Juillet 2008 (1)
Lulingu - Souvenirs de voyage (1)
(juillet 2008)
1. Contexte
Au cours du mois de juillet 2008, une équipe de jeunes de Braine l’Alleud a entrepris un voyage vers Lulingu, paroisse du Sud-Kivu faisant partie du diocèse de Kasongo. C’est à ce diocèse de Kasongo que notre blog Tam-Tam consacre l’essentiel de ses articles, de ses échos et reportages photos.
Après un premier voyage de reconnaissance effectué en janvier par Alain de Maere et Julien (voir post de l’époque), le but du voyage était cette fois de définir, avec précision et en accord avec les habitants, les objectifs du jumelage envisagé entre les paroisses Ste-Barbe de Lulingu et St-Etienne de Braine l’Alleud.
C’est à nouveau Alain de Maere, curé-doyen de Braine l’Alleud, qui a mené une petite équipe composée cette fois de Christel, logopède, Stéphane, éducateur, et Jean-François, jeune séminariste. Il faut dire qu’Alain de Maere est un habitué de cette région du Congo où il est très apprécié, d’autant plus qu’il parle maintenant avec aisance un excellent swahili … Jean Badiufa était aussi du voyage : retour au pays après deux années passées en Belgique.
En parallèle et au même moment, une autre équipe belge composée de Guy Bemelmans et Hilario, deux spécialistes de « Energy Assistance » (ONG du groupe Suez-Tractebel) et de Serge Lammens, ancien directeur de société actif dans cette région avant les guerres, partait également à Lulingu pour y faire l’inventaire des moyens à mettre en œuvre pour remettre en état la centrale électrique construite en 1955, au temps de la colonisation belge. Cette possibilité de remise en état avait été identifiée lors du voyage de reconnaissance de janvier dont on a largement parlé dans ce blog. Et « Energy Assistance » avait, sans hésitation, répondu positivement à la demande d’intervention qui lui avait été faite. Il faut espérer que le courant sera bientôt rétabli à Lulingu. Et ce ne serait pas banal car, encore aujourd’hui, 95 % des agglomérations du diocèse de Kasongo (grand comme 2.5 fois la Belgique !) sont plongées dans l’obscurité dès que le soleil se couche, à 18h30 chaque jour de l’année …
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Le soleil se couche sur Lulingu ...
Un compte-rendu de cette mission technique sera prochainement publié dans ce blog. Mais déjà il faut remercier tous ceux qui contribuent à rendre possible ce genre d’interventions humanitaires, toujours effectuées bénévolement par des experts hautement qualifiés. La photo ci-dessous donne un exemple de la mobilisation que ces interventions suscitent : il s’agit ici des 485 participants aux 20 km de Bruxelles 2008, tous faisaient partie du Groupe Suez et tous se sont fait sponsoriser au profit de « Energy Assistance ». La couleur orange se retrouvera, à Lulingu, sur les logos des T-shirt …
5% des 25.000 participants aux 20 km de Bruxelles 2008
couraient au profit d'Energy Assistance ...
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Avant de parler un peu plus en détail du projet de jumelage, il faut dire deux mots du contexte géographique. Lulingu est situé à environ 150 km à l’ouest de Bukavu. Elle est une des 13 paroisses du diocèse de Kasongo, qui lui-même est grand comme 2,5 fois la Belgique. C'est dire que la paroisse de Lulingu ne couvre pas un territoire comparable à ce que nous connaissons en Europe.
A l'origine, c'était un poste de mission, fondé en septembre 1960 par les Pères Blancs, en plein cœur d’une riche zone minière (cassitérite, coltan, …).
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Les Pères Blancs à Lulingu (probablement Noël 1965) archives Adrien Mertens
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Cette mission devint le centre d’une vaste aire d’évangélisation. La paroisse couvre en effet 200 x 100 km. Elle est divisée en "communautés de base" – les shirika- qui sont elles-mêmes des centres très dynamiques de catéchèse avec lieu de culte. Lorsque les Pères partaient en tournée pour apporter les sacrements aux habitants des villages de la paroisse, leur absence durait de longues semaines. Suite aux guerres qui ont ensanglanté toute la région, les Pères Blancs furent forcés d'abandonner Lulingu, il y a près de 10 ans. La paroisse est aujourd’hui et depuis 2007, desservie par des prêtres diocésains. Et les déplacements ne sont certainement pas plus faciles qu’il y a 50 ans …
Par voie terrestre, Lulingu est complètement isolée : aucune route praticable aux voitures n’y mène plus depuis longtemps. Elle reste heureusement accessible par avion petit porteur, car elle dispose d’une piste d’aviation, Tshonka, située à 11 km de la localité. Cette piste est maintenue en activité car c’est là que, tous les jours, plusieurs Antonov viennent enlever leur cargaison de minerai … et apportent depuis Bukavu, et à gros prix …, les produits de première nécessité. C’est ainsi que l’essence est actuellement vendue environ 5 euros le litre à Lulingu !
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devant l'aérogare (?), les sacs de minerais, bien gardés, attendent l'Antonov ...
La population de la paroisse de Lulingu, dans son ensemble, bénéficie peu de l’exploitation des richesses du sous-sol de la région. Les gens vivent (survivent, plutôt …) de façon très précaire. A défaut de routes, aucune activité commerciale valorisante n’est possible, si ce n’est au niveau purement local ; les produits agricoles ne peuvent être exportés, etc., etc. Ce mur auquel se heurtent les bonnes volontés en décourage beaucoup et les amène à tenter leur chance dans la « grande ville », Bukavu où la plupart rejoindront les rangs des sans emploi …
La source essentielle de revenus à Lulingu est de devenir « creuseur » dans les mines où la journée est payée une poignée de francs congolais, c’est-à-dire peu, très peu … Et pour se procurer une main d’œuvre encore moins chère, les recruteurs n’hésitent pas à embaucher des enfants qui quittent alors l’école se privant totalement des maigres chances qu’ils avaient de se préparer un avenir meilleur… Cette anarchie s'explique par la déliquescence de tous les corps de l'Etat : administration, justice, etc... Il y a progrès, mais tout cela est encore loin d'être normalisé.
Et pourtant, au milieu de ce dénuement quasi-total, toute une population, des dizaines de milliers de gens, vivent et surtout espèrent. On le verra sur les photos ramenées par les voyageurs, la joie de vivre est évidente maintenant que la paix est revenue –et c’est vrai que c’était la condition essentielle pour que la situation commence à se rétablir. Et voilà que des européens reviennent : Wazungu wanarudia ! Cela ne s’était plus vu depuis 10 ans …
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Donc, on revêt les habits de fête, on chante, on danse pour accueillir l’étranger en visite. C’est évident sur les photos : c’est une explosion de couleurs magnifiques. On en oublie presque la réalité quotidienne dont témoigne quand même cette image … .
Le transport des fardeaux se fait à "dos de femmes" ...
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Figures de danse rituelle exécutées par les "anciens", les wazee.
Lulingu dépend administrativement de Shabunda dont on a déjà parlé sur ce blog. Ces deux cités sont en plein cœur du territoire habité par l’ethnie Lega dont la culture ancestrale fait aujourd’hui l’objet de nombreuses études. L’art lega est maintenant très apprécié dans nos pays occidentaux où les plus belles pièces ont pris une valeur considérable. (le prix record pour un objet Lega : 100 millions d'anciens francs belges pour ce petit masque d'initié Lukungu en ivoire - hauteur 20 cm - XIXè s.)
Le Bwami, société initiatique lega au code moral et social souvent plein de sagesse, est toujours resté actif et très influent. C'est peut-être une des raisons de la cohésion sociale qui a permis à ce peuple de traverser, presque intact, les épreuves qu’il a connues. Au sein de la génération montante, spécialement chez les intellectuels, on perçoit un regain d'intérêt et d'attachement pour cet héritage du passé. Même, une certaine inculturation des Evangiles dans la tradition lega fait aussi l’objet de réflexions, si pas de recherches.
Prochain 'Post' : Images du séjour à Lulingu
A suivre …